Rompre avec l’âgisme

Mélanie Levasseur est responsable d’un projet intitulé « Rompre avec l’âgisme », financé par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC).

Plan d’action intersectoriel pour rompre avec l’âgisme

Mise en contexte

Malgré l’existence de plusieurs stratégies innovantes et efficaces pour favoriser la participation sociale et assurer un parcours de vie actif et en santé des personnes aînées (Levasseur et coll., 2018), l’efficacité de ces stratégies est limitée par une réalité préoccupante : l’âgisme. Représentant les « stéréotypes (penser), préjugés (ressentir) et discrimination (agir) envers les personnes selon leur âge » (Organisation mondiale de la santé [OMS], 2021), l’âgisme touche près de deux Canadiens âgés sur trois qui affirment avoir été traités injustement ou différemment en raison de leur âge (International Federation on Ageing, 2014). Huit Canadiens sur 10 sont aussi d’avis que les personnes aînées de 75 ans et plus sont perçues comme moins importantes et qu’elles sont plus souvent ignorées que les jeunes générations de la société. Puisque l’âgisme limite la santé des personnes aînées, leur intégration dans la communauté et leur pouvoir d’agir, le vieillissement est alors réduit à un déclin de la santé influençant ainsi les choix sociétaux (OMS, 2002). Cette stigmatisation et dévalorisation des personnes aînées dans la société se sont notamment accentuées lors de la pandémie (COVID-19; Lagacé et coll., 2022).

L’âgisme peut se manifester de différentes façons. Rapportées par les Canadiens, les trois formes les plus courantes sont : 1) d’être ignoré ou traité comme étant invisible (41 %); 2) d’être traité comme n’ayant rien à offrir (38 %); et 3) d’être considéré comme incompétent (27 %) (International Federation on Ageing, 2014). Huit Canadiens sur 10 sont aussi d’avis que les personnes aînées de 75 ans et plus sont perçues). Plus spécifiquement, les femmes âgées, les personnes aînées à faible revenu et celles atteintes de démence sont plus à risque de vivre des situations d’âgisme (Barnett, 2005; Rippon et coll., 2014).

Diverses études ont montré que l’âgisme a des conséquences importantes chez les personnes aînées, incluant une diminution de la santé et du bien-être (Jackson et coll., 2019), l’exclusion sociale et la marginalisation (Billette, 2012), une augmentation des symptômes dépressifs et du sentiment de dépendance envers l’entourage (Han et Richardson, 2015) et une restriction de la durée et de la qualité de vie (Nelson, 2016) et des fonctions cognitives (Marquet et coll., 2016). En plus des conséquences sur la santé et le bien-être des personnes aînées, l’âgisme engendre également des coûts économiques importants. Aux États-Unis, l’âgisme entraîne chaque année des coûts supplémentaires de 63 milliards de dollars américains liés à plusieurs problèmes de santé (OMS, 2021).

Objectif du plan d’action intersectoriel pour rompre avec l’âgisme

Élaboré pour le Québec et développé pour les personnes aînées, les intervenants travaillant auprès des personnes aînées, les jeunes et étudiants, les organismes communautaires, les décideurs et la population québécoise, le présent Plan d’action intersectorielle (PAI) pour rompre avec l’âgisme vise à proposer des orientations (O) et des actions (A) stratégiques dans différents secteurs (nature et technologie; santé; société et culture) de façon durable et socialement acceptable, et ce, afin de rompre avec l’âgisme en valorisant la place des personnes aînées dans la société.

Démarche d’élaboration du Plan d’action intersectoriel pour rompre avec l’âgisme

Recherche-action issue d’une action citoyenne

Réalisé par et pour les personnes aînées et soutenu par une équipe intersectorielle, le projet « Rupture avec l’âgisme : co-construction d’un plan d’action intersectoriel favorisant une santé, une valorisation et une participation sociale accrue des Québécois vieillissants » a permis une action citoyenne issue d’une recherche-action (Dolbec et Prud’homme, 2009), qui inclut notamment une recension réaliste des écrits, des forums d’informateurs clés, des analyses de données secondaires d’une enquête populationnelle et une Grande interaction pour rompre avec l’âgisme (GIRA). Ce nouvel éclairage sur l’âgisme a permis de coconstruire une vision commune de la place des personnes aînées dans la société et d’identifier, en partenariat avec des organismes du milieu et des personnes aînées, des actions prometteuses pour contrer l’âgisme (Levasseur et coll., 2020).

Recension réaliste des écrits

Tel que recommandé par l’OMS (2021), nos travaux incluent une recension réaliste des écrits, ciblant deux sous-groupes (jeunes de moins de 18 ans et étudiants en santé et services sociaux) qui a permis une compréhension riche et détaillée des actions pour rompre avec l’âgisme. Plus spécifiquement, la recension réaliste des écrits a permis d’identifier les liens entre les contextes, les mécanismes et les effets de trois types d’actions à implanter pour contrer l’âgisme : éducatives, intergénérationnelles et en combinant les deux (Bétrisey et coll., 2021).

Trois types d’actions peuvent permettre de rompre avec l’âgisme:

Éducatives
• Visent à transmettre des informations précises sur le vieillissement
• Présentent une vision réaliste du vieillissement
• Mettent l’accent sur l’hétérogénitée de la population aînée
• Peuvent prendre diverses formes : cours, discussions, vidéos, jeux de rôle, journaux réflexifs
Intergénérationnelles
• Facilitent les relations entre les générations
• Peuvent être directes ou indirectes (ex. : imaginées ou par le biais de récits d’expérience)
• Se réalisent dans divers contextes : discussions, récits de vie, mentorat, activités artistiques et loisirs
Combinaison des deux actions
• S’appuient sur l’acquisition de connaissances sur le vieillissement et les personnes aînées qui sont appliquées lors d’interactions intergénérationnelles

Forums d’informateurs clés

Deux forums d’informateurs clés, regroupant des personnes aînées, des intervenants et des dirigeants d’organismes du milieu, ainsi que de la santé et des services sociaux, ont permis de bonifier les résultats de la recension réaliste des écrits et de coconstruire une vision commune de la place des personnes aînées dans la société (Levasseur et coll., 2021).

Principaux constats des forums d’informateurs clés

  1. Puisque les personnes aînées sont mises à l’écart et qu’il y a un manque de reconnaissance par rapport à leurs savoirs et leurs expériences, leur place dans la société est mal définie et stigmatisée.
  2. L’expérience des personnes aînées n’est pas suffisamment valorisée (ex. : dans les discours médiatiques et politiques).
  3. Les personnes aînées sont perçues comme un groupe homogène, vulnérable et ayant des maladies chroniques, ainsi que comme des personnes non actives ou engagées.
  4. Cette représentation homogène des personnes aînées, leur catégorisation selon l’âge ou leur état de santé, les enjeux conceptuels (ex. : termes utilisés non représentatifs et négatifs; définitions non consensuelles et floues), la société individualiste (ex. : manque de solidarité et d’entraide entre les générations), leur accès difficile au marché du travail et leur situation socio-économique précaire sont des obstacles à leur inclusion dans la société.
  5. Les ressources mises en place pour répondre aux besoins des personnes aînées et leurs opportunités de participation sociale sont insuffisantes et, souvent, inadaptées à leurs situations (ex. : ).

Afin de favoriser leur inclusion dans la société, la valorisation du vieillissement, les liens intergénérationnels dans la communauté, ainsi que l’amélioration des soins et des services de soutien offerts aux personnes aînées doivent être priorisés.

Analyses de données secondaires d’une enquête populationnelle sur les associations entre l’âgisme et le vieillissement biologique

En plus d’une recension réaliste des écrits et des forums d’informateurs clés, des analyses de données secondaires basées sur le Health and Retirement Study ont permis de vérifier les liens entre l’âgisme et le vieillissement biologique chez les personnes aînées.

Grande interaction pour rompre avec l’âgisme (GIRA)

À travers les tables rondes, les discussions sur Facebook et les retombées de presse, la Grande interaction pour rompre avec l’âgisme (GIRA) a été l’occasion d’entendre les préoccupations des citoyens du Québec entourant le vieillissement et l’âgisme.

GIRA est une initiative portée par le Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l’Estrie-CHUS et coconstruite par des chercheurs, des étudiants en communication, des personnes aînées et des partenaires. Piloté par le Professeur Dany Baillargeron et son équipe, financé par le FRQ – Programme Dialogue, cette rencontre interactive et intergénérationnelle propose divers moyens pour transformer les perceptions face au vieillissement et d’engendrer des comportements inclusifs selon les recherches scientifiques qui portent sur les causes, effets et enjeux de l’âgisme.

Les trois objectifs de GIRA

  1. Favoriser une prise de conscience des enjeux, des effets et des formes d’âgisme;
  2. Démontrer que des solutions existent pour rompre avec l’âgisme;
  3. Engager une conversation autour de la recherche sur l’âgisme.

Pour favoriser un dialogue intergénérationnel, GIRA utilise divers moyens (site internet dynamique et interactif; stratégie de diffusion et de dialogue sur Facebook; exposition itinérante des photos de l’artiste Ariane Clément; relations de presse [GIRA, 2021])

Orientations et actions stratégiques pour valoriser la place des personnes aînées dans la société

Afin de rompre avec l’âgisme en repositionnant la place des personnes aînées dans la société, la présente recherche-action a ainsi permis d’identifier huit actions (A) stratégiques selon trois orientations (O) soit : O1) de valoriser le vieillissement, O2) de favoriser de liens intergénérationnels dans la communauté, ainsi que O3) d’améliorer les soins et les services sociaux offerts aux personnes aînées. De manière transversale, les A stratégiques servent au maintien et au renforcement du pouvoir d’agir des personnes aînées en augmentant leur estime de soi, et ce, en favorisant une réelle écoute de leurs perspectives et le respect de leurs choix et de leurs intérêts. Les A stratégiques rejoignent d’ailleurs les recommandations de l’OMS quant à la nécessité d’un changement de perception envers le vieillissement et la valorisation des personnes aînées (OMS, 2021). Elles sont également cohérentes avec l’ensemble des onze choix stratégiques mis de l’avant par le Plan d’action 2018-2023 Un Québec pour tous les âges (Gouvernement du Québec, 2018)

OrientationsActions stratégiques
O1 Valoriser le vieillissementA1 Présenter une vision nuancée et diversifiée du vieillissement
A2 Éduquer la populations aux réalités de l’avancement en âge
O2 Favoriser les liens intergénérationnels dans la communautéA3 Développer l’entraide entre les générations
A4 Promouvoir les habitations multigénérationnelles
A5 Encourager les activités intergénérationnelles
O3 Améliorer les soins et services sociaux offerts aux personnes aînéesA6 Soutenir le maintien à domicile des personnes aînées et leurs proches
A7 Faciliter l’accès aux programmes et services offerts aux personnes aînées
A8 Favoriser l’intégration et le mantien en emploi des travailleurs âgés sur le marché du travail

Considérant l’importance du phénomène de l’âgisme, ses conséquences importantes chez les personnes aînées (ex. : diminution de la santé et du bien-être) et sa pertinence pour l’équité en matière de santé, il est primordial d’agir rapidement et de faire de l’âgisme une priorité puisqu’il est un déterminant social de la santé qui a été trop longtemps négligé (Levasseur et coll., 2022).

Les membres de l’équipe sont

Mélanie Levasseur, Université de Sherbrooke (Responsable)
Dany Baillargeon, Université de Sherbrooke (Co-chercheur)
Marie Beaulieu, Université de Sherbrooke (Co-chercheuse)
Annie Carrier, Université de Sherbrooke (Co-chercheuse)
Alan Arthur Cohen, Université de Sherbrooke (Co-chercheur)
Sylvain Giroux, Université de Sherbrooke (Co-chercheur)
Martine Lagacé, Université Laval (Co-chercheuse)
Laurie Kirouac, Université de Sherbrooke (Co-chercheuse)
Sébastien Lord, Université de Montréal (Co-chercheur)
Christine Morin, Université Laval (Co-chercheuse)
André Tourigny, CHU de Québec – Université Laval (Co-chercheur)
Marika Lussier-Therrien, Université de Sherbrooke (agente de recherche)
Carine Bétrisey, Université de Sherbrooke (Stagiaire postdoctorale)
Mingxin Liu, Université de Sherbrooke (Étudiant à la maîtrise en biochimie)

Les partenaires sont

Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR)
Fondation Luc Maurice
Laboratoire d’innovations par et pour les aînés (LIPPA)
Le Réseau d’Amis de Sherbrooke
Maison des Grands-Parents de Sherbrooke
Réseau FADOQ
Table régionale de concertation des aînés de l’Estrie

Tiré du site du FRQSC.

Références

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